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Après l'effort, le réconfort
9 décembre 2014

Aaah! les rapports d'inspection

Prof, j’ai été inspecté il y a huit mois. Le rapport vient d’arriverPrint
Monsieur le Prof
Professeur remplaçant
Publié le 05/12/2014 à 12h33

Au cours de notre année de stage, nous sommes inspectés lors d’une séance. De cette inspection, dépend notre titularisation. A partir de celle-ci, nous sommes un peu lâchés, en roue libre, dans notre métier – sachant qu’on sera inspectés au mieux tous les cinq à dix ans.

On vient nous inspecter sur une séance bien précise, en nous prévenant quelques jours à l’avance, histoire de bien nous laisser le temps de préparer quelque chose qui plaira certainement à l’inspecteur, même s’il ne s’agit pas de notre façon d’enseigner habituelle.

Quand on est élève, on s’imagine qu’être prof, c’est se ramener en cours avec un livre, l’ouvrir à une page et suivre ce qui est écrit. Bon, certes, il y a certains profs qui fonctionnent comme ça, mais dans les faits, c’est un peu plus complexe.

Je vais prendre l’exemple du cours que j’ai fait le jour de mon inspection pour vous expliquer comment on est censés construire notre cours. Je dis bien « censés », car même si j’essaie de suivre cela au maximum, cela demande énormément de temps et surtout d’inspiration pour parvenir à ce résultat.

Ecrivez à votre « moi » futur

Les enseignants en langue doivent actuellement suivre ce qu’on appelle la « méthode actionnelle », c’est-à-dire qu’il ne suffit pas d’expliquer une règle grammaticale à un élève, il faut créer une situation où l’élève aura besoin de cet outil grammatical pour mener à bien ses objectifs.

Grâce à une collègue de Twitter, j’ai trouvé l’objectif que devront mener à bien mes élèves : écrire une lettre à leur « moi » futur, lettre qu’ils ouvriront dans dix ans, par exemple. Pour mener à bien cette tâche, il faudra entre autres qu’ils sachent utiliser les pronoms réfléchis, par exemple pour dire « Cher moi-même », mais également le Present Perfect. Ce temps permet de dresser un bilan, il leur permettra donc de demander à leur « moi futur » ce qu’ils ont fait de leur vie en dix ans. Par exemple :

« Have you ever been to England ? »

« Have you learned how to drive ? »

(Es-tu déjà allé en Angleterre ? As-tu appris à conduire ?)

J’ai donc un objectif final, deux outils grammaticaux. A cela, doivent s’ajouter du vocabulaire et une approche culturelle de la chose, et voilà, le squelette de mon cours est formé. Une séquence est composée de huit séances maximum (sinon les élèves se lassent du thème abordé). Il me semble qu’en six séances, soit deux semaines de cours, mon objectif peut-être atteint.

Dur, dur de se rappeler de son contrôle

Me voilà donc à la recherche de documents pour permettre aux élèves de réussir au mieux :

  • un extrait de film, « Prédictions », où une classe enterre une boîte contenant des objets, afin de l’ouvrir quelques années plus tard ;
  • une photo de la « Disney Time Capsule », qui existe vraiment et qui contient des objets Disney ;
  • une chanson où un personnage parle à son moi futur ;
  • une BD de Calvin et Hobbes où Calvin écrit également à son moi futur...

Le tout est ensuite d’arranger ça pour que les savoirs arrivent progressivement, tout en maintenant l’intérêt de l’élève. Une alchimie pas évidente.

J’ai été inspecté sur ma deuxième séance de cette séquence, celle où j’ai fait travailler mes élèves sur la BD de Calvin et Hobbes.


Extrait d’une BD de Calvin & Hobbes (Bill Watterson)

C’est huit mois plus tard que j’ai enfin l’honneur de lire le rapport d’inspection, premier véritable retour sur ma façon d’enseigner. On nous dit souvent que les inspecteurs sont en sous-effectif, qu’ils ont énormément de travail, pas le temps de voir tout le monde... Mais tout de même, huit mois pour écrire et envoyer un rapport ? Entre-temps, l’année scolaire s’est terminée et j’ai eu le temps de changer deux fois d’établissement. Je repense à mes élèves prêts à m’étriper si je n’ai pas rendu un contrôle au bout d’une semaine, et je les comprends. Plus le temps passe, plus on oublie ce que l’on avait fait au contrôle.

En théorie, je suis d’accord mais...

Et force est de constater que huit mois plus tard, ce rapport perd de son impact. Heureusement, il commence par un résumé de la séance. Il s’agit d’une observation plutôt complète, même si je ne me souviens pas de tout ce dont il est question.


Extrait de mon rapport d’inspection : « Observation de la séance » (DR)

Ce que l’on appelle un « rituel », dans le jargon éducatif, c’est une activité récurrente que l’on fait à chaque début d’heure. Ainsi, effectivement, à chaque séance suivant le week-end, j’interroge les élèves sur ce qu’ils ont fait de leur week-end afin d’avoir une question connue mais dont la réponse change chaque semaine. Le but étant également de retravailler le prétérit.

L’inspecteur me signale qu’il « serait souhaitable d’aller au-delà et d’entraîner dans un second temps tous les élèves à construire du discours en s’appuyant sur ces éléments clés pour présenter le Disneyland Time Castle ». En théorie, je suis d’accord : chaque élève doit être sollicité. Mais dans la pratique, ce n’est pas évident à mettre en place. Ici, il n’y avait pas grand-chose à dire, peut-être cinq phrases maximum. Faire intervenir une vingtaine d’élèves risquait de vite tourner en rond et de les lasser – tout en prenant beaucoup de temps sur la séance.

Je ne vois pas où l’inspecteur veut en venir

« Les élèves s’interrogent sur la différence entre le present perfect et la voix passive. Il serait donc intéressant d’introduire du sens dans cette phase de PRL en attirant leur attention sur l’étroite corrélation entre le processus de passivation auquel sont soumis les sujets grammaticaux et le thème étudié. »

Concernant cette remarque, j’avoue ne pas la comprendre du tout. Je ne vois pas où l’inspecteur veut en venir et ce que j’aurais dû expliquer aux élèves.

L’inspecteur dresse un bilan, à lire ci-dessous :


Extrait de mon rapport d’inspection (DR)

Ce bilan, dans l’ensemble positif, relève plusieurs problèmes :

  • le fait de ne pas parvenir à faire travailler tous les élèves de la classe ;
  • le fait d’être trop frontal ;
  • le besoin d’étoffer le cours par des micro activités (ce qui améliorerait les deux points précédents) ;
  • la nécessité de répétition chorales (le fameux « repeat after me »)

Je comprends tout à fait le besoin de faire travailler tous les élèves de la classe et effectivement, proposer des activités courtes et simples permettrait de faire participer le plus grand nombre. Il est toutefois regrettable que dans le cadre de ce commentaire, aucune activité ne soit proposée par l’inspecteur. Il aurait été intéressant de me fournir des pistes afin que je sache précisément quoi faire travailler à mes élèves, et comment, afin d’améliorer mon cours.

« Repeat after me »

En ce qui concerne le fait de demander aux élèves de répéter après moi afin de bien prononcer un mot, je le fais en sixième et cinquième et les élèves aiment bien ça, mais c’est vrai qu’à partir de la quatrième, j’ai un peu plus de mal parce que c’est l’âge où ils commencent à avoir peur d’être jugés et à parler tout bas... Mais oui, un effort est à faire de ce côté-là.

Le fait d’être trop frontal m’avait déjà été reproché lors de ma toute première inspection, à l’issue de mon stage. Etre frontal, c’est le fait d’être, en tant que prof, au centre de la classe, être celui qui « distribue le savoir ». Cela peut paraître logique, mais la méthode actionnelle veut que l’élève soit le constructeur de son propre savoir, et que le prof s’efface au maximum.

Pour reprendre une formule d’un de mes formateurs : « Un cours idéal, c’est un cours où le prof ne parle pas. » Ce genre de formules claque bien, certes, mais m’énerve un peu. Je comprends tout à fait ce qui se cache derrière l’idée de l’élève qui construit son propre savoir.

Un petit exemple relativement très simplifié pour vous expliquer le principe.

Cherchez la règle

Un professeur « frontal » dira aux élèves :

« Au pluriel, on ajoute un S à la fin des noms, sauf pour “tooth” et “foot” et qui devienne “teeth” et “feet”. »

Dans la méthode actionnelle, le professeur notera plusieurs phrases au tableau :

« I have a dog. I have two dogs. I have a nose and two eyes.

The monster has got one big tooth and two small teeth. »

Et il dira à la classe : « Que remarquez-vous ? » La classe s’interrogera, et au fur et à mesure remarquera que parfois on met un S, parfois non. Et ce sont les élèves qui construiront la phrase : « Au pluriel, on ajoute un S... »

Le résultat est le même, mais dans le second cas, c’est bien l’élève qui est à l’origine du savoir, et donc, il assimile mieux la règle. Et je comprends la logique derrière cette méthode, je comprends son fonctionnement et ce qu’elle peut apporter. Mais bien souvent, cela demande énormément de temps pour observer une règle simple... et parfois, les élèves n’arrivent tout simplement pas à la voir, ou trouvent d’autres choses.

Dans l’exemple précédent, il est probable que certains élèves diront que quand on parle d’un animal, on rajoute un S alors que quand on parle du corps humain, c’est différent. Le fait de ne pas leur donner la règle directement peut les rendre confus.

Je sais qu’on attend de moi que j’utilise cette méthode, mais n’étant pas 100% en accord avec elle, je préfère ne l’utiliser que lorsque je suis certain qu’elle a un intérêt.

Créer un bon cours est pour moi un art

Comme vous pouvez le constater, faire cours est un peu plus complexe que dire : « Ouvrez le livre à la page 32 et faites les exercices. » Je trouve ça tout à fait fascinant : créer un bon cours est pour moi un art, et j’aime la réflexion que ça implique. Hélas, comme je l’ai dit, tous mes cours ne sont pas le fruit d’une telle réflexion, et bien trop souvent, je travaille dans l’urgence, à me demander ce que je ferai faire à mes élèves, sans avoir le temps de réfléchir en amont et sur la durée. J’espère que les années et l’expérience me permettront de me construire un catalogue de cours bien construits et pertinents afin de ne plus rencontrer ces problèmes.

Il est regrettable à mes yeux qu’à l’issue des formations auxquelles j’ai pu assister, on ne construise pas de séquence sous l’œil d’un formateur ou inspecteur afin d’avoir un « cours-étalon » sur lequel se baser. Car finalement, il faudra attendre de cinq à dix ans pour savoir si ce que l’on fait est en accord avec ce que l’on attend de nous.

   
  • Cosmic Slop
    Cosmic Slop
    Mothership Connection

    J’ai toujours eu beaucoup de difficultés en langue au collège/lycée, étant un élève plutôt moyen ou bon dans les autres matières.

    Je n’avais jamais de cours à réviser seulement trois bouts de notes en anglais prises pendant le cours qui m’apparaissait souvent totalement déstructuré et pendant lequel je dormais/dessinais/jetais des boulettes de papier. Souvent j’attendais « le cours » histoire de le noter pour l’apprendre plus tard, mais il n’arrivais jamais. Du coup mon retard s’est accumulé jusqu’à ce que je sois incapable de suivre pour de bon...

    Puis je m’y suis mis à l’université, avec des articles à lire en anglais il fallait bien, donc entre reverso et les cours de faculté j’ai finis par rattraper mon retard. Mais là j’étais autrement plus motivé.

    Avec le recul la méthode actionnelle me semble être une bonne méthode si on est sûr que les élèves suivent, mais comme vous le dites vous même ce n’est pas forcément le cas (et je suis bien placé pour le savoir) surtout au collège. En revanche cela me semble aussi être un très bon moyen pour perdre un paquet d’élèves en route, parce qu’avec un cours « frontal », au moins on peut rattraper et éviter d’être largué au bout de deux mois.

  • Pure et dure
    Pure et dure
    Tangeante

    Je vois que rien n’a bougé depuis dix ans.
    L’élève construit ses propres savoirs. Quelle phrase magique mais souvent dénuée de sens ! Après avoir parlé du temps pris pour faire « découvrir » aux élèves ce qu’on souhaite leur enseigner j’aimerais aussi faire remarquer le nombre d’enfants effectivement actifs dans ce genre d’entreprise. Sur 30 à 35 élèves, si l’on en trouve environ cinq qui participent, que font les autres si ce n’est au mieux écouter les tâtonnements que font leurs pairs avant d’arriver à l’objectif recherché par le prof ? Cette méthode issue du constructivisme me semble être très idéaliste mais pas vraiment... constructive.
    Tout prof sensé est bien sûr entraîné à provoquer des questionnements mais quand cela devient une méthode systématique j’ai l’impression d’assister à une dérive où seuls les éléments moteurs sont invités à participer. Nous sommes loin alors de tenter de diminuer les inégalités, bien au contraire.
    D’ailleurs le fait que les inspecteurs ne fassent jamais de démonstration prouve bien les limites de cette entreprise...

  • Cher collègue, je suis désolée pour toi que ton rapport ait tant tardé (j’ai reçu le mien 1 mois après mon inspection c’est ma 3ème année de titulaire). Je suis donc ravie de voir que mon inspecteur est efficace et surtout, qu’il donne des conseils, contrairement au tien. L’inspecteur était vraiment dans l’échange et il n’y a aucune surprise dans le rapport écrit. Je souhaite que tous mes collègues aient cette chance, parce qu’avoir quelqu’un qui écoute et conseille, dans un métier où il faut sans cesse se renouveler, ça fait du bien.
    J’ai eu moi aussi des remarques sur mon côté « dirigiste », la parole passe trop par moi (comme tu le fais remarquer, on doit s’effacer au maximum).
    J’ai beaucoup ri en voyant ton explication (très juste) de la méthode actionnelle, avec l’exemple du pluriel. C’est exactement ça. Combien de fois mes élèves m’ont parlé de TOUT, sauf de ce qu’ils avaient sous les yeux... Trop peu sont capables de remarquer SEULS ce genre de choses. Et du coup, on se retrouve à leur expliquer quand même à la fin... ;)
    L’inspecteur m’a conseillé d’orienter mes séances vers la PPC (=prise de parole prolongée, pas une simple phrase pour ceux qui me lisent), tous les prétextes étaient bons pour la travailler. Certes... mais l’inspecteur a observé une classe de 4è, dans laquelle il y avait 90% d’élèves que j’avais déjà eus l’an dernier... il les a trouvés très bon. C’est dommage d’oublier de dire qu’ils sont très bons parce que j’ai travaillé de la même façon que le jour de l’inspection. Et donc que ça marche !
    La méthode actionnelle est intéressante car je pense qu’elle permet vraiment aux élèves de comprendre (même si faire quelques exercices de grammaire en plus n’est pas du luxe... (chut, ne le dites pas à l’inspecteur, la grammaire est un gros mot maintenant !)).
    Tu dis que tu espères avoir un catalogue de cours bien fournis au fil des années... en fait, je crois que ça ne marchera pas comme ça. Exemple : j’ai eu ma formation il y a 3 ans et pourtant, je suis déjà obsolète, puisque la façon dont j’enseigne (que l’on m’a enseignée à l’IUFM donc) est trop dirigiste... alors qu’à l’inspection de titularisation, je n’ai eu que des compliments...
    Sans compter les mutations, quand on change d’académie, on change de façon de faire ! (parait-il qu’à l’académie de Nantes, ils forcent les collègues à mettre leurs tables en îlot pour favoriser l’interaction orale... sans parler de ce qui fait fureur dans l’académie voisine, et est complètement tourné en ridicule ici !)
    N’hésites pas à me contacter si besoin, l’enseignement, c’est loin d’être facile tous les jours :)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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